Turner et Hobbes.

( Le monstrueux, comme effet politique. )  
 

 

Par François-Xavier Ajavon.

( Études Doctorales - Paris XII. )

Informations générales : Ici.


Didon construisant Carhtage. Version 1817.

 

Introduction.

 

Ce court texte pose le problème du monstrueux dans le déploiement plastique du discours politique. La question de l'abject ( dans son articulation logique à la distorsion, la décohérence ) comme effet radical du logos politique sera doublement traitée par le biais de l'analyse de l'univers pictural du peintre anglais Turner ( 1775-1851 ), et par le biais de la confrontation de cette plastique déjà romantique à la pensée de Hobbes ( 1588-1679 ), grand théoricien du monstrueux. Ce bref article se déploie en deux mouvements : d'abord ( dans les deux premières parties ) nous analyserons la volonté plastique de Turner de représenter une ab-straction politique, nous nous focaliserons sur sa théorie de la vision ; ensuite, dans la dernière partie, nous tâcherons de lier l’œuvre du peintre anglais, et son projet, à la pensée de Hobbes.

Chaque œuvre picturale se dresse devant nous avec une théorie de la vision sous-jacente qui en conditionne le déploiement. La peinture, parce qu’elle propose une re-création radicale du monde, est ainsi connexe à une série de règles de construction opératoires, qui sont comme les conditions transcendantales de possibilité de l’avènement d’une œuvre, de sa mise au jour. Merleau-Ponty note ceci dans L’œil et l’esprit :  On pourrait chercher dans les tableaux eux-mêmes une philosophie figurée de la vision et comme son iconographie.[1] C’est précisément ce que l’on va  tenter de faire au cours de cette recherche, souligner que la véritable compréhension d’un peintre doit passer par l’étude rigoureuse de la théorie du visible qui a guidé l’artiste ; comme un catéchisme, comme une langue maternelle, comme un substrat essentiel, et finalement comme le sol même de son édification, sa condition première d’équilibre. Le peintre restitue toujours ( intentionnellement ) ce qu’il voit du monde, que cela soit avec ses yeux de chair ou avec ceux de l’âme. C’est de ce principe qu’il faut partir, le peintre ne fait que retranscrire sur une surface entoilée, qui devient objet de technique, sa vision du monde - propre et personnelle - , singulière, directe ( physique ) ou médiatisée ( onirique ), mais toujours issue de sa subjectivité créatrice, de son point de vue politique, qui est son point d’ancrage dans l’univers.

Afin de comprendre cette souveraineté de la théorie du visible sur la peinture elle-même, nous avons choisi de nous pencher sur quelques œuvres de J.M. Turner. Ce peintre romantique anglais nous permettra de noter distinctement de quelle manière une théorie picturale préalable peut articuler l’ensemble d’une création, l’orienter, la structurer et tout d'abord la justifier. Dans l’analyse que nous proposons de faire de la théorie du visible de Turner nous suivrons deux axes, distincts mais communicants ; en premier lieu nous traiterons de la notion d’abjection au sein de l’œuvre de l’artiste, comme schème explicatif de la genèse d’un détachement, d’un mouvement répulsif de recul vis-à-vis du monde. Dans cette première partie nous fixerons notre attention sur plusieurs toiles épiques de Turner et particulièrement sur Le Négrier ( 1840 ). En second lieu, nous traiterons du concept d’inachèvement, comme notion fondatrice de la théorie du visible de Turner. Un inachèvement réinterprété, non plus comme le mouvement inachevé traditionnel, mais comme le mouvement inachevable fini, signe d’une pathologie radicale de la vision, d’une sorte de myopie allégorique face au déploiement du monde. C’est notamment avec des outils conceptuels empruntés à la science médicale, et surtout à l’ophtalmologie, que nous tâcherons de saisir de quelle manière Turner a représenté sa symbolique exclusion de l’univers ; cette distanciation qui pointait déjà dans la thématique de l’abjection, et qui maintenant s’exacerbe dans une destruction optique de l’inessentiel, une distorsion de l’univers, écrasé, comprimé, brûlé par la vision elle-même ; le monde, devenu incompréhensible par  Turner vieillissant, devient impossible à représenter parce qu’intenable, politiquement invivable - comme pour le malvoyant il s’ab-strait. Pour illustrer notre propos, nous nous appuierons sur la fameuse série d’huiles sur toiles non-figuratives composées entre 1835 et 1840, ainsi que sur le diptyque d’œuvres carrées, inspirées par la théorie des couleurs de Goethe : Ombre et obscurité puis Lumière et couleur.

D’une manière générale, nous tenterons de montrer de quelle manière Turner, en établissant sa théorie du visible, a cherché à se donner de remarquables instruments opératoires, aptes à retranscrire la profonde distance politique qui le séparait du monde ; ainsi, précisément, que ce qui constitue l’essence même de cette sphère réelle, par-delà l’inessentiel, par-delà les qualités secondes, dans l’authenticité absolue du phénomène[2] tel qu’il se dévoile

Sommaire :

 

     - 1 / L'abjection.

 

     - 2 / Pathologie et inachèvement.

 

     - 3 / Turner au miroir de la pensée hobbesienne. 

 


 

Informations générales

 

François-Xavier Ajavon, études doctorales de philosophie à l'UPVM - Paris XII.

Contact mail  fxajavon@bigfoot.com

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( articles, travaux universitaires, CV, présentation des recherches ).

 

Je tiens à vivement remercier Lauric Henneton pour la justesse amicale de ses conseils et pour l'espace qu'il m'a accordé sur son site. Cet article est un texte universitaire relativement ancien, totalement refondu et présenté avec des illustrations à l'occasion de cette publication électronique. 

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Pour poursuivre l'exploration de l'univers de Turner, visitez le site de la Tate Gallery.

 

[1] Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit. NRF. Folio. P.32.

[2] Un phénomène saisi comme strict objet de la science (  ici de la physique ou de l’ophtalmologie ) et non comme prétexte littéraire de la phénoménologie – qui semble ici impuissante à rendre compte indépendamment de ce qu’implique la théorie du visible de Turner.